Quand
l’Eglise œuvre pour tirer profit de la traite.
Par
une série de bulles, le pape Eugène IV et ses successeurs (Nicolas V,
Calixte III et Sixte IV) approuveront les expéditions portugaises, y
voyant l’occasion de convertir au christianisme toutes ces populations
de païens et Sarrasins incroyants. En échange de la soumission des
populations, l’Eglise accordera le monopole commercial de l’Afrique
au roi du Portugal, Alphonse V. Ces bulles prendront soin de préciser
que ces soumissions salutaires pouvaient passer par l’asservissement,
voire par une réduction en esclavage des « nègres de Guinée »
et qu’elles devaient être confiées à l’Ordre du Christ, la confrérie
d’Henri le navigateur. En plus de ces bulles, l’église chrétienne,
par son pape Alexandre VI, organise le partage du monde entre le
Portugal et l’Espagne avec le Traité de Tordesillas en 1494.
La
prise de position de l’église catholique en faveur de la traite ne
sera pas un épiphénomène. Trop contente de disposer de nouveaux
territoires d’évangélisation forcée, celle-ci encouragera
l’esclavagisme tout au long de la période de la traite négrière.
Des
bulles, des bulles …
Voici
les noms de quelques bulles célèbres (avec les dates et les papes qui
s’y rattachent).
1442
Illius qui (Eugène IV) : entérine les conquêtes du prince Henri le navigateur en
Afrique
1452
Dum diversas (Nicolas V) : donne au roi du Portugal toute latitude pour soumettre
les Sarrasins, païens et autres incroyants, voire les réduire à un
esclavage perpétuel.
1455
Romanus Pontifex (Nicolas V) : espère que les populations naturelles soient bientôt
converties au christianisme et donne son approbation au monopole
commercial des Portugais en Afrique.
1456
Inter caetera (Calixte III) : affirme que l'administration des nouvelles possessions
portugaises et leurs intérêts doivent être confiés à l'ordre du
Christ, la confrérie d’Henri le navigateur.
1481
Aeterni regis (Sixte IV) : les terres conquises en Afrique sont accordées au Roi du
Portugal.
.
Le
débat sur l’esclavage des Indiens d’Amérique
Au Brésil, sous souveraineté portugaise, les
premières plantations sucrières voient le jour et les Portugais
utilisent les indiens comme travailleurs serviles, suivis par les
Espagnols en Amérique centrale. Les dominicains s’en émeuvent et la
persévérance de Bartolomé de Las Casas pour avoir dénoncé les
pratiques des colons espagnols et défendu les droits des Indigènes va
payer. En effet, en 1537, le pape Paul III, dans une lettre à
l’archevêque de Tolède puis dans une bulle, condamne et interdit
l’esclavage des Indiens d’Amérique. Malgré cette bulle,
l’esclavage se développera sans gêne jusqu’au XIX° siècle.
Mais
pourquoi l’église catholique, qui a aboli l’esclavage des Indiens
au XVI° siècle, va accepter celui des Noirs jusqu’au XIX° siècle ?
Parce que la récupération, puis la propagation d’une théorie sans
fondement, tirée de la Bible, vont permettre la justification de
l’esclavage des noirs.
.
|
La
légende de Cham ou la justification de l’injustifiable esclavage
Dans
la Genèse (ancien testament) un passage relate l'épisode de la
malédiction de Cham, un des fils de Noé. Cham aurait aperçu son père
nu et passablement éméché et se serait moqué (une autre
interprétation dit qu’il l’aurait violé); furieux Noé dit à son
réveil : "Que Chanaan (le fils de Cham) soit maudit, et qu'il soit à l'égard de ses
frères, l'esclave des esclaves ». Puis les descendants
de Cham, devenus noirs, se dispersèrent et peuplèrent l'Afrique.
Il
semblerait que l’idée d’identifier les africains aux descendants
maudits de Cham, condamnés à jamais à n’être que des esclaves,
soit le fait de théologiens musulmans a partir de textes de la Bible,
mais aucun texte coranique ne traite de la malédiction de Cham, pas
plus que d'une justification de l'esclavage des noirs fondée sur
celle-ci. D'une manière générale, on trouve peu de traces sur
l'utilisation de ce passage de la Genèse pour justifier l'esclavage;
sauf à partir du XVII° siècle où les traces de la légende
deviennent plus persistantes, au fur et à mesure que la traite des
noirs se développe et qu’émergent la polémique et les mouvements
abolitionnistes.
On
pense que l’histoire de cette malédiction des noirs par Dieu, colportée
pendant le Moyen Age, fut popularisée par l’Eglise et sa légende récupérée
à des fins idéologiques : ces lointains africains, païens
incroyants, par leur couleur étaient les descendants de Cham, fils
maudit de Noé dans la Bible, et devenaient des esclaves par nature.
.
Du
XVI au XIX° siècle, des arguments idéologiques contre
l'abolition
La conversion des
esclaves noirs, maudits par Noé et Dieu lui-même, apparaît ensuite
comme primordiale. Les négriers avaient donc l’obligation de baptiser
les captifs embarqués en Afrique et ces esclaves, noirs et païens, au
lieu d’être voués à l'enfer iraient au paradis. Pour certains
hommes d'Eglise (et bien d’autres), cet argument était fondamental,
et pour eux, les esclaves étaient les bénéficiaires et l’évangélisation
justifiait l’esclavage.
Le « Code Noir »
de Louis XVI est très clair à ce sujet et stipule dès l’article 2
que : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront
baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et
romaine » et rajoute (article 3) : « Interdisons tout
exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique
et romaine ».
Même l’Eglise anglicane a joué un rôle dans l’esclavage via la
« Société pour la propagation de la parole dans les contrées
lointaines ». D’ailleurs, dans ses plantations à la
Barbade, son nom était marqué au fer rouge sur la poitrine des
esclaves appartenant à l’église anglicane et parmi
les dirigeants de la « Société » on trouvait
l’archevêque de Canterbury et les évêques de Londres et de York.
Lors de l’émancipation des esclaves, l’Eglise sera même indemnisée
pour la perte de ses esclaves dans ses plantations de la Barbade.
A l'époque de la Restauration
(1815-1830), et durant les premières années de la Monarchie de
Juillet, le clergé des vieilles colonies françaises, craignant les idées
libérales et les révoltes d'esclaves, ne participe pas au mouvement
abolitionniste et la traite est encore considérée comme une chance,
pour les esclaves asservis, de pouvoir suivre l’évangile. L’abbé
Rigord, curé à Port Royal en Martinique et anti abolitionniste
notoire, écrit encore en 1845 (trois ans avant l’abolition) :
« on est porté à considérer
la traite comme un fait providentiel (...) Que de milliers de ces
malheureux ont trouvé dans la servitude la liberté des enfants de Dieu ».
.
|